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Diariatou Kébé : « Pas de tabou ni de honte à parler du racisme à son enfant »

Rédigé par | Dimanche 29 Mai 2016 à 14:00

En ce dimanche de fête des mères, Saphirnews a interrogé la blogueuse Diariatou Kébé, auteure du livre « Maman noire et invisible ». Un essai sur la particularité d'être mère lorsqu'on vit dans une société en position de minorité. Sensibilisation au racisme, bonne pratiques, découvrez les avis de cette jeune maman trentenaire.




Saphirnews : Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Diariatou Kébé : Tout est parti de mon blog Clumsy. L'idée était d'y parler de parentalité de mon point de vue de femme noire. Je voulais un espace où je pourrai évoquer ma vie de maman et surtout écrire. À ses débuts, le questionnement sur l'identité, la mienne et celle de mon fils, étaient mon fil conducteur puis, au fur et à mesure, d'autres questions se sont posées comme celle du racisme.

J'ai eu la chance d'être contactée par un éditeur qui m'a proposé de publier le blog sous forme de livre. Ce livre est pour les futures et jeunes mamans mais pas que, tout le monde peut le lire. C'est un guide et une tentative de début de conversation sur le fait d'élever un enfant noir dans un monde où les standards sont blancs.  

Pourquoi est-ce si compliqué pour les jeunes ou futures mamans noires en France ? 

Diariatou Kébé : Je pense que le racisme larvé complique la vie de beaucoup femmes noires et que cela touche tous les aspects de nos vies. La maternité (comme la non maternité) fait partie de la vie des femmes noires. Les micro-agressions, les difficultés pour se loger ou pour trouver un emploi ne s'arrêtent pas une fois qu'on a choisi d'être mère.

C'est aussi compliqué pour les femmes noires qui sont invisibles dans l'espace public. Quand on pense ou parle des mamans noires en France, on a ces images de « Mama noire » qui s'occupent des enfants, qui sont hyper-maternelles et, au fond, ne font pas grand chose d'autres que de se soumettre... On ne voit pas nos mères. On ne sait pas qui elles sont, ni ce qu'elles aiment ni ce dont elles ont besoin. C'est trop dommage car elles ont tant à partager ! 

Vous parlez de racisme à l'hôpital, comment se manifeste-t-il ?

« Maman noire et invisible » de Diariatou Kébé.
Diariatou Kébé : Le milieu médical n'est pas exempt de tout racisme. Par le passé, dans les années 1970, des femmes réunionnaises ont été stérilisées à leur insu pendant qu'en métropole, les femmes luttaient pour le droit à l'avortement. Le scandale de la clinique Saint-Benoit, mis à jour par la députée Huguette Bello, témoigne par exemple de cette volonté de contrôler le corps des femmes.

Concernant la racisation des patientes africaines, une étude de 2012 de Priscille Sauvegrain (sociologue, ndlr) démontre la mise en place d'un « protocole de terme ethnique » appliqué aux femmes noires qui menaient trop souvent à une césarienne avant terme. Ainsi, le taux de césariennes des femmes noires immigrées dans les années 1980 et 1990 étaient anormalement élevées. C'était d'ailleurs un sujet de conversation pour les femmes de ma famille et de mon entourage qui avaient peur d'accoucher... 

Cette sélection faite à partir de la simple couleur de peau indique une racisation des patientes. J'ai souvent pensé qu'il s'agissait d'un problème de communication alors que non : le profil des femmes immigrés avec un bassin étroit était appliqué, quelque soit le parcours de la patiente sous le simple prétexte de sa couleur de peau. Aujourd'hui, ce protocole n'a plus cours heureusement mais il n'en reste pas moins qu'il a existé.

Quelles bonnes pratiques africaines recommanderiez-vous aux jeunes mamans ?

Diariatou Kébé : Je dirais, en premier, le massage du nourrisson. Pas la version de la vidéo qui suit bien sûr ! Mais quelque chose de plus doux évidemment avec du beurre de karité du bled ! C'est un moment calme que j'ai beaucoup aimé partagé avec mon fils. Les papas peuvent le faire aussi, n'est-ce-pas ? (rires)


Ensuite, il faut se reposer ! C'est tout bête mais faire confiance en confiant le bébé au conjoint, sinon aux femmes de la famille. Les conseils de sa propre mère ne sont pas toujours les bienvenus mais peuvent faire la différence. Et enfin dire quand ça ne va pas, quand on y arrive pas. L'aventure de la maternité, ce n'est pas toujours la joie, il faut savoir se ménager.

Une fois que l'enfant grandi et se socialise, comment le prémunir du racisme ?

Diariatou Kébé : LA grande question ! Dans un premier temps, je dirais qu'il faut comprendre le racisme : s'éduquer soi-même, ne pas se sentir mal d'en parler, il n'y a pas de tabou ni de honte à parler du racisme à son enfant. L'éduquer au racisme en lui en parlant, c'est aussi le protéger. 

Dans la société telle qu'elle est aujourd'hui, je ne crois pas qu'on puisse prémunir nos enfants du racisme. C'est triste à dire mais c'est comme ça. Heureusement, on peut aider nos enfants à se sentir bien dans leur peau, à être fort et surtout leur donner les armes pour changer les choses.

Quelle réception a eu votre livre de la part du public en général et des femmes noires en particulier ?

Diariatou Kébé : Je ne m'attendais pas du tout à en parler autant ! Les débats, les commentaires ont été positifs en général. Certaines personnes n'ont pas aimé, ce que je comprends tout à fait car le style peut être déroutant. Les critiques ont toujours été constructives, ce que j'ai grandement apprécié.

D'autres personnes s'attendaient à autre chose, que certains sujets soient plus fouillés, plus poussés ou traités différemment. J'ai aussi reçu beaucoup de messages très gentils pour me féliciter et surtout me dire merci ! Ça aussi, je ne m'y attendais pas.

Quel est le cadeau rêvé des mamans pour la fête des mères ? 

Diariatou Kébé : Pour les autres mamans, je ne sais pas mais moi ? Juste faire pipi sans être interrompue par mon fils ! (rires) Et le second cadeau que j'aimerais avoir : prendre le temps d'aller voir l'expo Seydou Keïta au Grand Palais (à Paris du 31 mars au 11 juillet 2016, ndlr) avec ma maman ! 

Diariatou Kébé, Maman noire et invisible – Grossesse, maternité et réflexion d'une maman noire dans un monde blanc, La boîte à Pandore, octobre 2015, 156 p., 13 €.